Loti Kubuya Mielor, sage-femme en chef à Goma, en République démocratique du Congo, se souvient de la scène comme si c’était hier. « On était le 2 janvier 2023… une femme enceinte de quadruplets a accouché sous ma supervision. Après avoir accouché de ses quatre bébés, elle a souffert d’une grave hémorragie du postpartum. »
Avec une grande détermination, Loti et son équipe ont stabilisé la maman en moins de sept minutes. « Elle perdait rapidement du sang. Sans intervention immédiate, elle risquait l’état de choc à cause de la perte de sang, ce qui aurait pu lui coûter la vie », se remémore Loti.
Il a mobilisé les connaissances acquises au cours de sa formation, a rapidement administré les médicaments nécessaires, a stoppé l’hémorragie et a compensé la perte de fluides. « Dans les moments comme celui-là, nous n’avons pas le droit à l’erreur », déclare Loti.
Deux ans plus tard, Loti conserve les photos des quadruplets sur son téléphone.
« Chaque fois que je les regarde, je ressens la même fierté et la même émotion. Ils me rappellent la raison pour laquelle j’ai choisir de devenir sage-femme : pour protéger des vies comme la leur. »
Les sages-femmes sont indispensables dans chaque crise. Dans de nombreuses urgences, ils et elles constituent la première et parfois même l’unique source de soins pour les femmes enceintes et leurs nouveau-nés victimes de complications vitales. Dans les régions affectées par les conflits, telles que l’est de la République démocratique du Congo, le risque de mortalité maternelle et néonatale double souvent en raison des perturbations touchant les systèmes de santé et de l’accès limité aux services essentiels.
Le conflit touchant l’est de la République démocratique du Congo s’est brutalement intensifié depuis la fin 2024, déplaçant des millions de personnes et privant les femmes et les filles d’un accès à la contraception, aux soins obstétricaux d’urgence ou à la protection contre la violence sexuelle.
En réponse, l’UNFPA, l’agence des Nations Unies chargée de la santé sexuelle et reproductive, a lancé une opération d’urgence visant à étendre les services de santé sexuelle et reproductive dans trois zones de santé au Nord-Kivu, incluant Goma. Cette aide comprend le déploiement de psychologues clinicien·ne·s et de 138 sages-femmes, la distribution de kits de santé reproductive, ainsi que la sensibilisation des communautés aux options de planification familiale et à la prévention de la violence basée sur le genre.
L’insécurité actuelle a malgré tout entraîné la suspension de certaines cliniques de santé mobiles, créant des manques importants dans les soins.
Obedi Lumoo Bikoma, sage-femme au centre de santé Turunga de Goma, travaillait de nuit lorsque la routine a laissé place à une situation de vie ou de mort : une femme arrivée en plein travail, le pied de son bébé se présentant en premier, une dangereuse complication appelée « accouchement par le siège ». Seul de garde, sans ambulance ni équipe chirurgicale prête à intervenir, Obedi est aussitôt passé à l’action.
« J’ai replacé le pied du bébé dans l’utérus, puis j’ai procédé à une manœuvre interne pour positionner sa tête correctement », explique-t-il. « J’ai pratiqué un accouchement par voie vaginale, ce qui a permis de sauver le bébé et la mère. »
L’expérience a renforcé l’engagement d’Obedi envers la profession de sage-femme. « J’ai ressenti une grande fierté et beaucoup de gratitude. Depuis cette expérience, je n’ai plus peur d’être confronté à des situations compliquées. Ça a été un moment décisif pour moi dans ma carrière. »
À l’hôpital général Kyeshero, la sage-femme en chef Espérance Kibuya a eu à gérer un accouchement compliqué : une dystocie des épaules (lorsque les épaules du bébé ne s’engagent pas pendant l’accouchement), suivie de la naissance surprise de triplets. « J’ai repositionné la maman, appliqué une pression pour permettre d’aligner les épaules du bébé, et guidé l’accouchement en toute sécurité », se souvient-elle.
Espérance a mis au monde les trois bébés sans complications, sauvant la vie de la mère et de ses garçons. « C’était une nuit inoubliable… grâce à mon calme, et aux compétences que j’ai acquises au cours de ma formation, j’ai pu sauver quatre vies. »
Renforcer le rôle des sages-femmes dans les contextes de crise comme celui de la République démocratique du Congo est indispensable, et vital. Les sages-femmes sont en capacité d’assurer 90 % des services essentiels de santé sexuelle, reproductive, maternelle et néonatale.
Malgré son rôle critique, l’investissement mondial dans cette profession accuse un grave retard. Il manque environ 1 million de sages-femmes à travers le monde, et les récentes coupes budgétaires du développement et de l’aide humanitaire menacent encore davantage les progrès. Les réductions de financement constituent une condamnation à mort pour de nombreuses personnes en République démocratique du Congo, qui comptabilise 7 % de la mortalité maternelle mondiale. Sans financement ni aide d’urgence, de nombreuses autres femmes seront laissées pour compte, tout comme leurs nouveau-nés, et les décès évitables ne cesseront d’augmenter.
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